DISCLAIMER : Pendant l’enregistrement de cet épisode avec Yves Lavandier, auteur de La Dramaturgie, nous avons rencontré un imprévu technique : un de nos micros a lâché. Nous avons donc dû nous passer d’un seul micro pour toute la durée de l’entretien. Paradoxalement, c’est l’épisode que j’ai le moins coupé et je suis heureux de l’ambiance que cela a donné.
Yves Lavandier, artiste et artisan de l’ombre que j’admire profondément
Yves Lavandier, une des personnes que j’avais le plus envie d’inviter dans le Podcast AD MIRARE
Yves Lavandier est sans aucun doute une des personnes que j’admire le plus. Ayant suivi ses conférences et lu ses livres, notamment son manuel d’écriture incontournable, La Dramaturgie, je suis toujours impressionné par la profondeur et la clarté de ses enseignements.
Pourtant, Yves est une personne de l’ombre, peu connue du grand public, mais qui joue un rôle crucial en créant et en permettant aux autres de créer. Ses œuvres, à mon avis, devraient être lues par tous. Elles sont d’une importance capitale, tant sur la forme que sur le fond, car elles nous permettent de mieux apprécier les œuvres qu’on ait ou non l’ambition d’écrire.
Les livres de Lavandier sont exigeants sans jamais être prétentieux. Ils véhiculent des valeurs essentielles pour moi comme l’universalisme. Selon lui, une bonne histoire doit pouvoir parler à tous, peu importe la culture ou l’identité. Cette vision résonne profondément avec l’idée que les histoires sont un langage universel qui transcende les différences humaines. Yves, bien qu’il se revendique moins de cette valeur, met également en avant la liberté. A la page 24 de La Dramaturgie, il énonce :
“Tout s’apprend, même l’amour”.
Yves Lavandier, La Dramaturgie.
Il nous rappelle que l’ignorance est simplement la première étape d’un chemin d’apprentissage où nous découvrons les règles et progressons de merveilles en merveilles. Je me souviens d’un extrait de l’émission Bouillon de Culture avec Jean-Luc Godard, qui illustre parfaitement cette idée. Plus on explique les règles du récit, de la dramaturgie ou de la vie plus l’on va de merveilles en merveilles. C’est, je l’espère, ce que nous allons vivre durant cet épisode du podcast AD MIRARE avec Yves Lavandier.
Les valeurs d’Yves, un récit intemporel et universel
Yves met souvent en avant des valeurs essentielles telles que l’égalité, l’authenticité, la gratitude et la clémence dans ses travaux et ses interactions. Lors de notre entretien, il a été surpris mais flatté que je souligne l’importance de l’universalisme dans son travail. Yves a écrit La Dramaturgie sous cet angle, s’intéressant particulièrement à ce qui est intemporel et universel dans le répertoire, qu’il s’agisse de pièces de théâtre, de films, de séries, de mangas, de bandes dessinées ou de romans. En l’occurrence, il mentionne la Cendrillon chinoise pour illustrer l’idée que nous sommes tous faits de la même façon, vivons les mêmes types de conflits et d’émotions, et avons les mêmes besoins fondamentaux, quel que soit le pays, l’origine sociale, la culture. Qu’elles que soient nos différences, selon Yves, nous partageons plus de similitudes que de différences.
Ensuite, Yves nous donne sa définition du récit :
“Parler de soi, de son petit problème personnel avec des outils intemporels et universels.”
Définition du Récit par Yves Lavandier
Il souligne l’importance du « et » dans cette activité, en combinant des éléments communs et différenciés dans les récits.
Parcours et formation d’Yves Lavandier
Yves Lavandier, âgé de 64 ans, a une formation scientifique. Il suit un parcours classique avec des études en math’ sup’ math spé, aboutissant à un diplôme d’ingénieur. Cependant, il a rapidement ressenti de l’ennui dans ces études, ce qui l’a poussé vers le cinéma. Il a commencé par lire des livres de cinéma et à réaliser des courts-métrages avant de décider de suivre une formation réelle. Il hésite avec L’IDHEC ou Louis Lumière, il trouve la première très politisée, la seconde très technique. Yves choisi alors le meilleur et s’envole pour New-York où il étudie le scénario à l’Université de Columbia à New York, où il a eu pour enseignants, entre autres, Milos Forman, réalisateur de Amadeus et Vol au-dessus d’un nid de coucou, des films faisant partie de son panthéon personnel (et du mien).
De retour en France en 1987-88, Yves commence par écrire des soaps pour la télévision française. Sa fibre maïeutique, peut-être héritée de sa mère sage-femme (point commun avec Socrate, dont les dialogues sont parfois considérés comme ancêtre de la psychanalyse), a émergé quand quelqu’un lui a suggéré de donner des cours. Cette graine a germé, et à l’automne 1987, il a animé son premier atelier d’écriture basé sur ce qu’il avait appris à Columbia. Ce cours comprenait une partie théorique et une analyse des grandes œuvres du répertoire, combinée à une étude des règles dramaturgiques comme le conflit et la préparation. Ce qui allait donner un des livres qui a changé ma vie, La Dramaturgie.
Yves Lavandier dans AD MIRARE comme Hitchcock et Truffaut
Je profite du podcast AD MIRARE pour rappeler la richesse et la précision de ses livres, qui sont d’une grande valeur, notamment le dernier, L’essence de la comédie. Ses œuvres sont comparables aux classiques tels que le mythique Hitchbook, où Hitchcock explique ses films en détail à Truffaut, qui se régale d’autant de détails. Yves Lavandier a su combiner ses connaissances scientifiques avec une passion pour le cinéma, offrant une perspective unique et précieuse sur l’art de raconter des histoires.
Mais le plaisir que j’ai eu à échanger avec lui me rappelle aussi le plaisir que j’ai eu à écouter les enregistrements qui ont servis à l’écriture du livre d’entretiens entre Hitchcock et Truffaut. Ces derniers sont l’unes des raisons qui m’ont donné l’envie de lancer ce podcast. Je vous les partage car c’est extraordinaire d’écouter le dialogue intime des deux cinéastes, avec leurs blagues, leur complicité et même le bruit d’Hitchcock en train de fumer son mythique cigare.
La dramaturgie d’Yves Lavandier, Bible des scénaristes
La dramaturgie, la bible de l’écriture d’Yves Lavandier, est un phénomène intéressant à plusieurs égards. D’abord, il est crucial de comprendre ses motivations derrière cet ouvrage. Yves, rétrospectivement, revient sur ses intentions inconscientes.
« Ma motivation profonde à écrire la dramaturgie, inconsciemment, c’était de comprendre et mettre au jour pour moi (et puis comme ça avait l’air de rendre service à d’autres, pour les autres) les mécanismes intemporels et universels du récit, pour pouvoir en écrire moi-même. »
Yves Lavandier dans AD MIRARE
La Dramaturgie est un rare succès d’auto-édition, caractérisé par une extrême précision, des explications détaillées et des exemples tirés de divers formats tels que la télévision, le cinéma, le théâtre et la littérature. Il y a deux ans, Yves a compris que sa motivation profonde pour écrire La Dramaturgie était de décortiquer les mécanismes universels du récit pour pouvoir en écrire lui-même.
Pour Yves, le seul moyen de comprendre ces mécanismes était de saisir le sens profond et inconscient des règles du récit. Contrairement à la littérature américaine sur le sujet qui se concentre souvent sur des recettes de succès, Yves inclut des références variées, soulignant l’importance de l’approche universelle. Par exemple, il regrette que des figures comme Lubitsch ne soient presque plus jamais mentionnées, malgré leur immense influence cinématographique. Pour réparer cette injustice, vous trouverez ci-dessous une vidéo d’Arnaud Desplechin évoquant le style Lubitsch, notamment la comédie Ninotchka.
En 1987, Yves a commencé avec un vademecum de 8 pages qui s’est enrichi au fil des ans, intégrant la culture qu’il accumulait. En 1992, après des refus de plusieurs éditeurs spécialisés, il a décidé de s’autoéditer et de créer la société d’édition et de production Le Clown & l’Enfant. Ce qui a conduit à un succès unique de plus de 30 000 exemplaires. Il a récemment cédé les droits à un nouvel éditeur, donnant naissance à L’Essence de la comédie, un livre qu’il aurait aimé trouver il y a 40 ans lorsqu’il s’est lancé dans le cinéma.
Yves compare souvent la dramaturgie à des œuvres intemporelles et universelles, comme Hamlet, Oedipe Roi, et Cyrano de Bergerac. Pour Yves, comprendre ces œuvres, c’est comprendre les mécanismes qui sous-tendent tous les récits humains.
Yves insiste sur l’importance de mélanger théorie et pratique, donnant des exemples concrets pour illustrer des concepts théoriques. Il souligne que le récit n’est pas seulement pour ceux qui veulent écrire, mais aussi pour ceux qui veulent comprendre pourquoi ils aiment ou n’aiment pas une œuvre, et ce qui les touche ou pas. Le récit, entre tous ses utilités est aussi un outil de connaissance de soi. Ce que nous verrons, dans la seconde partie de cet épisode.
Finalement, Yves définit le récit comme une action humaine difficile, soulignant que chaque vie humaine est une succession de récits. Il pense que la dramaturgie a une fonction à la fois thérapeutique et pédagogique, capable de divertir, soigner et instruire. Pour lui, un récit juste et authentique est crucial, et il ressent une frustration quand les émotions véhiculées par une histoire ne sont pas justes.
L’approche d’Yves, en mélangeant une démarche scientifique avec un amour profond pour le récit, rend La Dramaturgie non seulement un guide pour les écrivains, mais aussi un outil précieux pour toute personne intéressée par la compréhension des histoires et des émotions humaines.
Pour aller plus loin
- Les livres d’Yves :
- La dramaturgie, l’incontournable
- Construire un récit, pour se mettre à l’écriture
- Les livres les plus récents :
- Bouillon de Culture avec Jean-Luc Godard :Jean-Luc Godard
- La Cendrillon Chinoise évoquée par Yves
- Le mythe de Procuste, dont le lit signifie contraindre les choses à un seul modèle rigide
- Les films évoqués :
- Amadeus de Milos Forman
- Vol au dessus d’un nid de coucou du même réalisateur
- Coups de Feu sur Broadway de Woody Allen
- Les écoles de cinéma