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Podcast

“J’ai un cerveau qui cherche et qui trouve du sens partout et tout le temps”, Yves Lavandier

By 26 juin 2024août 1st, 2024No Comments

DISCLAIMER : Pendant l’enregistrement de cet épisode avec Yves Lavandier, auteur de La Dramaturgie, nous avons rencontré un imprévu technique : un de nos micros a lâché. Nous avons donc dû nous passer d’un seul micro pour toute la durée de l’entretien.

Nous évoquons les règles du récit dans cette seconde partie de l’épisode du Podcast AD MIRARE consacré à Yves Lavandier. À mon sens elles s’entremêlent avec celles de la vie. Dans une première partie, nous avions évoqué le parcours d’Yves, ce qui l’a amené à écrire cette littérature consacrée à la dramaturgie, avec l’ouvrage éponyme, mais aussi Construire un récit (nouvelle édition) et L’essence de la comédie.

Les règles du récit posées par Yves pour écrire et pour vivre

Plus important que les règles du récit, ce sont leurs cause qu’Yves met en avant

Yves Lavandier Auteur Dramaturgie Invité Podcast AD MIRARE

Dans ce second volet de notre conversation avec Yves Lavandier, nous plongeons plus profondément dans l’essence des récits et leur impact sur notre compréhension du monde.

Yves, auteur et théoricien de la dramaturgie, partage son point de vue sur l’importance de la signifiance dans les histoires, au-delà des simples règles de la forme. Les règles de forme servent à ceux qui veulent écrire, les règles applicables à vie servent à tous. L’une des raisons pour lesquelles les récits sont si populaires, à mon sens, c’est parce qu’ils nous servent d’apprentissage.

Nous abordons ensemble une réflexion captivante : est-ce que ce sont les règles structurelles ou les significations que l’on tire des récits qui importent le plus ? Yves nous invite à dépasser l’obsession des règles formelles pour se concentrer sur la causalité et la question du “pourquoi”. Cette approche permet non seulement de comprendre les causes exactes des problèmes, mais aussi de trouver des solutions tant dans les récits que dans la vie réelle. Nous prenons le temps, ensemble, de se pencher sur quelques règles marquantes du récit… et de la vie.

Règle N°1 du récit : “Écrire ce n’est pas s’ouvrir une veine, c’est apprendre à canaliser le flux”

J’avais choisi de retenir cette phrase pour le premier épisode car elle me semblait bien illustrer l’approche d’Yves, usant toujours de son coeur et de sa tête pour écrire. Et aussi parce que j’avais été surpris de réaliser que cette phrase était d’Yves. Je l’avais oublié. “Écrire ce n’est pas s’ouvrir une veine, c’est apprendre à canaliser le flux” selon Yves donc. Au début, cette règle m’a semblé juste pour le récit qui conte nos émotions d’une façon qu’elles soient intelligibles pour les autres. Ensuite j’ai trouvé l’analogie avec les règles de la vie tout aussi juste. Devons-nous retenir nos émotions jusqu’à être prêts à exploser pour agir, pour partager ce que nous ressentons et ce que nous sommes ? Ou, est-ce plus sain, plus heureux de canaliser ses émotions pour être en mesure de les partager régulièrement de manière intelligible avec les autres ? Yves complète son propos sur les règles du récit en arguant que l’émotion et l’art seuls ne suffisent pas.

“Le scénariste est à la fois un poète et un comptable”, Billy Wilder.

Il est important de combiner émotion et structure pour que le récit soir juste et accessible, comme il est important de combiner l’acceptation de nos émotions et le capacité à les exprimer. Cette dualité se retrouve dans la vie : nous devons agir et analyser ce que nous vivons pour éviter de répéter les mêmes erreurs. Jean-Luc Godard disait :

“Quand on fait du cinéma, on a un pied dans l’art et un pied dans l’argent”

Jean-Luc Godard dans Bouillon de Culture

Il faut comprendre, un pied dans l’art et un pied dans la réalité pratico-pratique. Yves préfère dire que le cinéma c’est un pied dans l’art et un pied dans l’artisanat. Pour illustrer cela, il évoque le film Coups de Feu sur Broadway de Woody Allen qui raconte avec humour que même un artiste doit être un artisan de son art, ce qui implique une maîtrise des règles et des techniques avant de pouvoir les transcender.

Règle N°2 du récit : “Le rire doit être dans la salle, pas sur scène”

Cette première règle, énoncée par Yves Lavandier, peut être étendue selon moi aux pleurs. L’émotion doit être ressentie par le public, pas nécessairement par les acteurs. Un exemple marquant à mon sens celui d’Al Pacino dans Le Parrain III, où sa performance dévastatrice devant l’opéra, criant sans voix, nous fait pleurer nous en tant que spectateurs.

Vous pouvez visionner cette scène poignante à partir de la troisième minute.

Yves partage une anecdote sur le même sujet. Celle d’un reportage télévisé où les personnes en deuil cachent leurs larmes, la pudeur rendant la situation d’autant plus touchante. Alors que dans le même temps, un autre exemple de reportage télévisé montrant des parents qui, après avoir assassiné leur fille, pleuraient faussement à la télévision dit quelque chose de la justesse des émotions. Ces moments illustrent comment l’émotion authentique, retenue, peut avoir un impact profond sur le public alors que l’émotion sans retenue, impudique en quelque sorte, dans certains cas nous questionne sur son authenticité.

Règle N°3 du récit : Être rebelle ce n’est pas être libre

Une règle importante, issue de la psychologie où la notion d’autonomie peut s’apparenter à la liberté dans le langage commun, fonde une règle de récit pour Yves Lavandier. Psychologiquement, ni la soumission ni la rébellion ne constituent une véritable liberté, car elles impliquent une position par rapport à quelque chose d’autre. A ce titre, en homme libre, Yves n’a aucun problème avec les règles, contrairement à ceux qui voient la liberté comme une absence totale de contraintes. Ceux-ci se trouvent souvent dans une prison mentale. Il admet aussi avoir éduqué psychologiquement ses lecteurs car concède t-il nous faisons également de la philosophie et de la psychologie à travers le récit. Je partage alors une anecdote avec Yves sur la lecture intensive de la dramaturgie alors que je commençais à écrire. Je rencontre une autre personne a choisi de s’affranchir des règles dès le début, avant même de les connaître, en permettant à chaque acteur de créer son personnage sans coordination et pour faire un film à la fin. Cela Amuse beaucoup Yves et nous amène à nous interroger sur la nécessité de connaître les règles du récit et de la vie, pour écrire et pour vivre.

Les règles du récit existent, mais est-on obligé de les connaître ?

L’éternelle question qui se pose est celle-ci : faut-il nécessairement connaître les règles du récit pour réussir en dramaturgie ? C’est un débat qui anime les conversations de Francis Veber et Yves Lavandier. Le célèbre réalisateur et scénariste français, auteur notamment de La Chèvre ou des Compères affirme consciemment ne pas connaître ni parfois comprendre certaines règles, comme celles du protagoniste et de l’antagoniste. Pourtant, une analyse de ses films révèle qu’il respecte ces règles de manière instinctive.

Le récit est un espace de connaissance de soi et les règles du récit des outils

Les récits qu’il s’agisse de littérature, de cinéma, ou de mangas, peuvent devenir de puissants outils de connaissance de soi et de développement personnel. En suivant le fil de nos désirs et de notre curiosité, nous pouvons découvrir des aspects profonds de notre identité.

Des œuvres citées par Yves qui m’ont ouvert des espaces d’existence

Prenons par exemple Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute. Cette oeuvre qu’Yves a découvert dans la mise en scène de Jacques Doillon m’a ouvert à tout le mouvement du Nouveau Roman. Or, y entrer par une œuvre qui m’a plu, qui répondait à une question que je me posais à ce moment précis de ma vie m’a permis de la comprendre, de l’apprécier puis de vouloir découvrir le courant dans lequel elle s’insère. Puis je suis allé à la découverte d’auteurs que désormais j’adore comme Samuel Beckett, Marguerite Duras, et J.M.G. Le Clézio parce qu’ils ont mis des mots sur mon vécu, sur mes angoisses, mes questions ou mes incompréhensions. À mon sens, c’est une manière plus propice de grandir avec des récits, quelques soient les récits, que de demander des recommandations aux autres ou prendre la liste des 100 plus grands romans du XXème siècle par exemple. Parce que ces choix sont ceux des autres, en fonction de leur vécu, pas les vôtres.

Les genres comme le manga offrent aussi des perspectives uniques. Le Gourmet Solitaire est un excellent exemple. Dans ce manga, on suit les aventures gastronomiques de Goro Inagashira, un homme d’affaires solitaire qui parcourt le Japon pour son travail, explorant les petites échoppes et les stands de rue. Chaque chapitre est une nouvelle expérience culinaire et une réflexion personnelle pour Goro sur les usages locaux, le temps qui passe et lui-même. Taniguchi nous invite à faire de chaque expérience, même banale, de la vie, une opportunité de mieux vivre, en regardant autour de soi, en appréciant les subtilités du quotidien.

De la même manière, Les Gouttes de Dieu nous initie au vin et à la dégustation tout en nous apprenant à apprécier les choses de la vie. D’ailleurs, j’ai retenu une citation du manga comme un mantra.

Celui qui aime le vin, aime tous les vins, mêmes les mauvais.

Les Gouttes de Dieu de Tadashi Agi

Cette règle de vie peut s’appliquer aux films, aux vins, et aux personnes : aimer les films, les vins et les personnes même les mauvais nous ouvre à expériences de la vie pleine de perspectives à mon sens.

Pour illustrer comment les œuvres peuvent être des outils de connaissance de soi et nourrir notre développement personnel, nous avons discuté avec Yves quelques-unes de nos préférées.

La Poison de Sacha Guitry

La Poison, citée dans L’essence de la comédie est une oeuvre pleine d’ironie sur la vie. La scène de l’avocat est un exemple parfait de comique de situation qui, en plus de générer du sens, offre une réflexion sur la profession d’avocat. Cette œuvre est un excellent exemple de la manière dont une comédie peut véhiculer des vérités profondes sur la nature humaine.

Œdipe-Roi de Sophocle

L’Œdipe-Roi de Sophocle est une pièce avec un suspense extraordinaire. Œdipe, à la fois enquêteur et coupable, cherche la vérité qui lui a été offerte dès le début de la pièce. La scène avec Tirésias est particulièrement psychanalytique, illustrant comment Œdipe refoule la vérité avant de finalement y faire face. Cette tragédie montre comment la quête de la vérité peut être à la fois une source de souffrance et de révélation intense.

En conclusion, les récits, qu’ils soient comiques ou dramatiques, nous offrent des clés précieuses pour comprendre nos propres émotions et blessures. Ils nous permettent de mieux nous connaître et de nous développer personnellement. Et je remercie Yves Lavandier d’avoir créé toute cette littérature du récit qui nous sert aussi dans la vie.

Pour aller plus loin

Écouter AD MIRARE Saison 2 Épisode 3 avec Yves Lavandier Partie 2

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